Une belle légende du service public japonais qui ne correspond pas à la réalité
Vous l’avez peut-être vue passer sur vos réseaux sociaux : l’histoire touchante d’une petite gare japonaise, Kami-Shirataki, qui serait restée ouverte uniquement pour permettre à une jeune étudiante de poursuivre sa scolarité. Selon ce récit viral, la compagnie ferroviaire aurait maintenu les trains en circulation jusqu’à ce que l’étudiante termine ses études, avant de fermer définitivement la station.
Ce conte émouvant a fait le tour du monde, souvent accompagné de commentaires glorifiant le service public japonais et son « respect pour l’individu et l’éducation ». Mais qu’en est-il vraiment ?
La réalité derrière la légende
Après vérification auprès de sources fiables comme Le Monde et Le Temps, cette histoire s’avère largement romancée :
- Une compagnie privée, pas un service public : Contrairement à ce que suggère le récit, JR Hokkaido (Hokkaido Japan Railway) n’est pas une entreprise publique mais une compagnie privée. Le Japon a privatisé son réseau ferroviaire en 1987, lorsque la JNR (l’ancienne compagnie nationale) a atteint un déficit colossal de 191 milliards d’euros.
- Une fermeture planifiée : La fermeture de la gare faisait partie d’un plan plus large de « rationalisation » visant plusieurs stations peu fréquentées dans la région. Dès 2015, JR Hokkaido avait annoncé la fermeture de quatre stations sans personnel sur cette ligne, dont Kami-Shirataki.
- Pas une seule étudiante : Selon le quotidien taïwanais Apple Daily cité par Le Monde, l’étudiante en question, Kana Harada, prenait en réalité le train à la station Kyu-Shirataki (et non Kami-Shirataki). De plus, une dizaine d’élèves de la même école emprunteraient ce train quotidiennement, et non une seule étudiante.
- Une coïncidence de calendrier : Si la fermeture de la gare et la fin de la scolarité de l’étudiante ont bien eu lieu au même moment, rien n’indique que la gare est restée ouverte spécialement pour elle. Le calendrier des fermetures était le même pour toutes les stations de la ligne amenées à disparaître.
L’origine d’une légende urbaine
Cette histoire a commencé à circuler en janvier 2016 suite à une publication Facebook de la chaîne de télévision chinoise CCTV, qui a rapidement généré des dizaines de milliers de partages. Le récit a ensuite été repris par de nombreux médias occidentaux, avant de revenir au Japon où il a de nouveau fait sensation.
Comme le souligne Jonas Pulver dans Le Temps : « Si l’histoire est éloquente, elle s’est aussi transformée au fil des reformulations. » La fermeture de cette gare s’inscrit en réalité dans un contexte plus large de déclin démographique au Japon, particulièrement dans les zones rurales comme Hokkaido, qui connaît une contraction de sa population.
Pourquoi cette histoire nous touche-t-elle tant ?
Si cette légende a connu un tel succès, c’est qu’elle résonne profondément avec nos valeurs et nos aspirations collectives. Elle évoque la protection de l’individu face aux logiques économiques, le respect de l’éducation, et une certaine nostalgie d’un monde où la rentabilité ne serait pas le seul critère décisionnel.
Comme l’écrit joliment Jonas Pulver : « Dans cette gare promise à l’abandon se reflète l’enfance rêvée qu’il nous a bien fallu abandonner […] Cette nostalgie-là valait-elle d’être un brin romancée ? »
Cette histoire nous rappelle l’importance de vérifier les informations qui circulent sur les réseaux sociaux, même (et surtout) lorsqu’elles semblent confirmer nos opinions et nos espoirs les plus chers.
Sources : Le Monde (19 mars 2018), Le Temps (13 janvier 2016)
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